Pourquoi certains gays ne pratiquent pas la sodomie (et pourquoi ce n’est pas grave)

Youen Tanguy, Têtu

La sexualité entre hommes, forcément synonyme de pénétration anale ? Balayez vos idées reçues : les bis et gays qui ne pratiquent pas la sodomie sont plus nombreux qu’on ne le croit. TÊTU a contacté plusieurs d’entre eux pour savoir pourquoi, et casser un peu les clichés sur le sexe gay.

« Je n’aime pas être sodomisé car j’ai eu une très mauvaise première expérience. Je n’ai pas envie de ressentir une nouvelle fois cette douleur. Pour ce qui est d’être actif, je n’y trouve aucun plaisir. » Guillaume* a 22 ans et il fait partie de ce que les Américains appellent les « sides » : des hommes gays ou bis qui ne pratiquent pas la sodomie. Et il n’est pas le seul.

Une étude** américaine, publiée en 2016, avait démontré que seul un tiers des hommes gays et bis avaient pratiqué la sodomie – active ou passive – lors de leur dernier rapport sexuel, privilégiant les baisers et la fellation. Preuve, s’il en fallait une, que la pénétration anale est loin d’être la norme chez les gays.

« J’ai failli me faire violer »

Pourtant, la sodomie est encore trop souvent jugée comme indispensable dans l’imaginaire collectif – souvent fantasmé -, mais aussi, parfois, chez les gays eux-mêmes. C’est en tout cas ce qu’ont raconté à TÊTU plusieurs hommes concernés. « Plusieurs fois, des gars ont essayé de ‘forcer’, en me disant ‘tu vas aimer’, ‘laisse-moi faire’, ‘les autres n’ont pas réussi à te donner du plaisir’, ‘moi je sais mieux m’y prendre’… etc », raconte Guillaume, 22 ans.

Il se remémore une fois où il a failli se faire violer parce que son partenaire pensait qu’il « jouait la comédie, la vierge effarouchée ». « Pour lui, par définition, un gay aime forcément la sodomie, active ou passive », ajoute-t-il.

« Le fait de refuser la sodomie m’a fait prendre conscience de l’infinité des autres possibilités qui existent. »

Un comportement qu’Alexis, étudiant de 21 ans, a beaucoup observé sur les applications de rencontres. « Une majorité de mecs voit la sodomie comme une étape obligatoire, regrette-t-il. Du coup, ceux qui ne la pratiquent pas sont vus comme des marginaux. »

Mais les principaux concernés sont pourtant loin de se considérer comme tels. « Le fait de refuser la sodomie m’a fait prendre conscience de l’infinité des autres possibilités qui existent », sourit Guillaume.

La peur d’être « sales »

Pourquoi « refuser » absolument d’être pénétré ? Des garçons, de tous âges, ont répondu à TÊTU. Raison première : l’hygiène. Un sujet particulièrement tabou au sein de la communauté gay. Pour Alexis, « les contraintes d’hygiène sont trop importantes par rapport au plaisir ressenti ». Un avis partagé par Martin*, 32 ans : « Il y a beaucoup trop de paramètres à prendre en considération : surveiller ce que l’on mange, être toujours propre, se laisser totalement aller… »

Des discours comme ceux-là, le sexologue Pierre Cahen en entend beaucoup dans son cabinet parisien. « Je reçois de nombreux patients qui ne pratiquent pas la sodomie par peur d’être sales. C’est un des freins principaux à la pratique. » 

Responsabilité du porno ?

Pour Sébastien Chauvin, le porno est en partie responsable de telles réactions. Face à l’inexistence d’une éducation à la sexualité LGBT, notamment à l’école, les élèves se tournent souvent vers les films X.

« Les films pornos tendent à exagérer la centralité du sexe anal dans la sexualité gay. »

« Or, les films pornos tendent à exagérer la centralité du sexe anal dans la sexualité gay, qui au quotidien est beaucoup plus diverse, assure Sébastien Chauvin. Pourtant, seule est montrée la scène de pénétration et souvent pas grand-chose de la préparation (technique, hygiène, etc.). Cette dernière est pourtant un élément central de la transmission culturelle de ce que Marcel Mauss appelait les ‘techniques du corps’ entre les générations gays (mais aussi aujourd’hui hétéros). »

La peur d’avoir mal

Deuxième raison invoquée : la peur d’avoir mal. « Je n’ai pas toujours eu des partenaires très délicats et l’idée d’être blessé par un rapport me rebute énormément, raconte Damien*, un lycéen trans’ de 16 ans. C’est d’ailleurs ce qui me bloque à l’idée de réessayer les rapports anaux. » « J’ai peur de toucher à cette autre partie de mon corps, ajoute Jean, étudiant de 21 ans. J’ai bien sûr essayé en solitaire, mais je n’ai éprouvé aucun plaisir. Au contraire, je ressentais une gêne, autant dans la sensation que dans l’acte. »

A cela, le sexologue Pierre Cahen rétorque que « la douleur est beaucoup une question de relaxation et d’acceptation d’être pénétré et de désir ». Rappelons tout de même que le massage prostatique ouvre le champ à des orgasmes plus longs et souvent plus intenses. 

Pour le sociologue Sébastien Chauvin, on ne peut pas exclure que « l’invocation de l’’hygiène’ ou de la ‘douleur’ soit le langage somatique par lequel s’exprime l’inconfort devant ce qui est ressenti comme un renoncement à la masculinité ».

Une posture que certains trouvent « féminine »

Dans ce sillage, d’autres, aussi, refusent la sodomie passive pour des raisons culturelles, voire cultuelles, avec en jeu la peur d’être assimilé à une femme. C’est le cas de Bernard*. Ce cadre de 36 ans ne pratique que la sodomie active. « Je n’aime pas du tout me retrouver dans la position du passif, confie-t-il. J’ai un peu l’impression de faire la femme alors que je préfère contrôler la situation, dominer. » Un discours totalement rétrograde, mais pas si rare que ça.

« L’émergence de la figure du ‘passif viril’ au cours des dernières décennies montre que les choses changent, analyse Sébastien Chauvin. La pénétration anale n’est plus nécessairement pensée à l’intérieur d’une polarité masculin-féminin. » Mais c’est loin d’être gagné pour autant.

Selon lui, le double standard importé du modèle patriarcal, qui juge différemment la sexualité des femmes de celle des hommes, se reproduit dans le milieu gay. « Résultat, complète-t-il. L’injonction à ‘se faire respecter’ et à se protéger du stigmate de ‘salope’ sont davantage en jeu dans la sexualité passive que dans la sexualité active qui, elle, s’accompagne plus souvent du devoir inverse de ‘respecter’, rappelant celui des hommes hétérosexuels, mais aussi les figures négatives qui l’accompagne, comme celle du goujat ou du salaud« . Autrement dit, le passif se retrouve plus souvent dans la position de la ‘salope’ et l’actif dans celle du ‘tombeur’.

« On peut être dominé en étant actif et dominant en étant passif. »

Une sexualité très diverse

Le sexologue Pierre Cahen pense qu’il faudrait, tout simplement, se débarrasser des termes actif/passif, totalement dépassés, et leur préférer la formule pénétrant/pénétré. « On peut être dominé en étant actif et dominant en étant passif », lance-t-il.

Il ajoute dans un petit rictus : « Il ne faut pas non plus chercher midi à 14h chez quelqu’un qui trouve du plaisir autrement. La pénétration n’est pas une obligation pour lui et peut être une gêne à laquelle il ne veut pas se confronter ».

C’est d’ailleurs que ce prône le plus jeune de nos témoins, Damien  : « Les garçons avec qui j’ai des rapports sans pénétration ont souvent cette inventivité et cette manière de mieux s’approprier leur corps de plein de façons différentes ». Et de conclure :

« Je pense que tout le monde – homos ou hétéros d’ailleurs – devrait essayer, un jour, d’avoir un rapport avec quelqu’un, mais sans pénétration. Pour découvrir d’autres choses, pour éviter que cela devienne lassant… Le sexe est loin de n’être que ça. »

*Certains prénoms ont été changés.

**Etude menée en 2016 par l’université de George Masson (Indiana, Etats-Unis) sur 24.787 hommes bisexuels et gays âgés de 18 à 87 ans.

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