
Roger-Luc Chayer (Image: Certificat accompagnant la médaille)
Il y a 12 ans, à ma grande surprise, j’ai été contacté par le bureau du lieutenant-gouverneur du Québec, représentant de la souveraine Élisabeth II dans la province, pour m’informer qu’une enquête de trois mois avait été menée sur ma vie et mes activités, et que le lieutenant-gouverneur avait décidé de m’attribuer une médaille.
Le lieutenant-gouverneur du Québec est le représentant de la reine du Canada (actuellement, la reine ou le roi du Royaume-Uni) au niveau provincial. Il exerce un rôle principalement cérémonial et constitutionnel, mais il possède également certaines prérogatives constitutionnelles, comme la sanction des lois adoptées par l’Assemblée nationale du Québec et la convocation de cette assemblée.
Quelques semaines plus tard, je me suis retrouvé, accompagné de plusieurs autres récipiendaires — des militaires, des personnes s’étant distinguées par des actes exceptionnels, et d’autres encore — dans une salle bien remplie. J’étais entouré de nombreux membres de ma famille et d’amis, et, par un heureux hasard, mon collègue journaliste Robert Franck m’accompagnait en tant que sergent d’armes, restant à mes côtés tout au long de la cérémonie. Mais tout n’a pas commencé dans ma vie de manière aussi glorieuse !
Sous la protection de la Direction de la Protection de la Jeunesse (DPJ) à 16 ans
C’est en 1980, à Terrebonne (Québec), que j’ai décidé de quitter la maison, n’en pouvant plus de l’ambiance qui y régnait et de cette violence constante qui rongeait ma vie. Je risquais de redoubler l’école, je vivais uniquement pour me boucher les oreilles contre les cris et les actes répétés d’une mère confrontée à de lourds problèmes, que je ne voulais plus partager ni accepter.
J’ai quitté en passant par la petite fenêtre de ma chambre au sous-sol, avec un maigre baluchon contenant à peine quelques affaires. J’ai enfourché mon vélo et me suis lancé dans une aventure dont je ne connaissais absolument pas l’issue. Je n’ai pas regardé derrière, et je n’ai jamais regardé derrière.
J’ai reçu l’aide et le soutien de plusieurs membres de ma famille pendant ces années difficiles : ma cousine Mireille et son époux Jacques, ma tante Lucille, ma tante Fleurette, mes cousins Ginette, Gaétan, Sylvie, Sophie et sa famille, Lucie… J’espère n’oublier personne !
En 1982, grâce à l’aide précieuse de mon travailleur social et de plusieurs professeurs qui m’ont soutenu, dont mon professeur de musique Antonio Bernabei, qui a accepté que je termine mon secondaire 5 dans sa classe de musique à la Polyvalente Henri-Bourassa, j’ai finalement obtenu mon diplôme secondaire avec succès.
Études musicales à Montréal
Depuis des années, la musique a été ma complice dans l’obscurité. Elle me permettait de fuir la réalité de la maison. En jouant d’un instrument absolument infernal — le cor, qui n’est vraiment pas de tout repos — j’ai décidé de consacrer ma première année de collège au CÉGEP Marguerite-Bourgeois et au CÉGEP Vincent-d’Indy. Ce sont des établissements privés que j’ai fréquentés sans argent, mais grâce à la bienveillance des religieuses qui les dirigeaient, on m’a permis de suivre des études sans payer le plein tarif, parfois même gratuitement.
Mais cela n’allait pas assez vite. J’étais avide de jouer de mon instrument le plus possible, de toujours mieux le maîtriser. Un cours de cor par semaine ne m’aurait pas permis de faire carrière avant l’âge de 75 ans… Je me suis donc présenté au Conservatoire de musique de Montréal dans l’espoir d’améliorer mon éducation musicale.
Même si je connaissais plusieurs autres étudiants de mon école secondaire qui étaient entrés au Conservatoire, je n’avais pas les moyens financiers de suivre suffisamment de cours privés avec un étudiant du Conservatoire pour être aussi techniquement compétent que les autres. Monsieur Aimé Lainesse, professeur de cor au Conservatoire, m’a écouté et a refusé mon admission en déclarant que je ne serais jamais corniste de ma vie… Merci pour l’encouragement !
C’est lors d’une soirée avec des voisins dans mon immeuble, en discutant avec une membre du personnel du Consulat de France à Montréal, qu’elle m’a suggéré qu’il y avait une excellente classe de cor au Conservatoire de Nice et que je devrais peut-être envisager de m’expatrier. Et pourquoi pas ?
En 1983, avec l’argent des prêts et bourses du Gouvernement du Québec, je suis parti à Bruxelles pour un mariage, profitant de l’occasion pour demander une audition auprès du professeur de cor du Conservatoire royal de Bruxelles, avant de descendre vers le sud de la France, à Nice, où j’avais rendez-vous avec le professeur de cor du Conservatoire national de Nice pour une autre audition.
J’ai été accepté aux deux conservatoires!
Départ pour l’Europe
Ayant le choix entre deux magnifiques institutions, mais très différentes dans leur approche, je me suis laissé séduire par toutes les possibilités qui m’étaient offertes, par les palmiers et par le superbe Conservatoire de Nice, situé dans la magnifique Villa Paradiso. On m’a offert une éducation de classe internationale, totalement gratuite jusqu’à la fin.
Diplôme de fin d’études – Cor – Juin 1984
2ème mention – Déchiffrage cuivre – Juin 1984
2ème accessit – Musique de chambre – Juin 1984
Académie Internationale d’Été de Nice – 1984
1er Prix – Musique de Chambre – Juin 1985
2ème Prix à l’unanimité – Cor – Juin 1985
1er Prix – Cor – Juin 1991 – 3ème cycle
Centre International de Formation Musicale de Nice – 1991
Pendant ce temps, je travaillais partout sur la Côte d’Azur : à l’Orchestre de Cannes, à l’Opéra de Nice, à Monte-Carlo, à l’Orchestre national du Capitole de Toulouse. J’acceptais toutes les opportunités qui se présentaient. En 1991, j’ai pris la direction musicale de l’Orchestre des Solistes Méditerranéens de Nice.
Après des centaines de concerts, de stages, d’heures d’enseignement, de voyages grâce à l’Orchestre de Cannes et à l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, et après avoir bénéficié du soutien financier d’une bourse du Conservatoire, de subventions ministérielles du gouvernement du Québec, entre autres… j’ai commencé à tourner mon regard vers ma terre natale.
Avant de quitter Nice, j’ai pris soin de créer une bourse annuelle au Conservatoire, à mon nom et financée de ma poche, pour le meilleur étudiant de la classe de cor qui me succéderait, en reconnaissance envers une institution et un pays qui m’ont offert une carrière de corniste et de chef d’orchestre dont je suis très fier. La générosité de la France envers moi a été celle d’une mère que je n’avais jamais eue.
Retour au Canada
En 1992, je suis revenu définitivement à Montréal. J’ai entrepris de publier en CD de nombreux enregistrements réalisés au cours de ma carrière sous le label que j’avais lancé, Disques A Tempo.
Parallèlement, en 1993, j’ai commencé à écrire des articles pour le magazine RG à Montréal, et, avec le temps, je suis passé au Journal de Montréal, à TQS, à TVA, pour finalement acheter la revue Le Point en 2002 et la transformer en ce qu’est aujourd’hui le Groupe Gay Globe Média.
En 1995, j’obtenais la nationalité française.
Une récompense royale.
En 2012, sur ordre de la Reine, j’ai reçu une distinction honorant l’ensemble de ma carrière, tant en France qu’au Canada. C’était également une première pour un éditeur de médias s’adressant aux communautés LGBT+.
Comme le dit un dicton classique, la vie n’a pas été un long fleuve tranquille pour moi. Lorsque je raconte parfois mes péripéties à celles et ceux qui veulent bien les entendre, on me fait souvent remarquer que j’ai accompli des choses inusitées dans ma vie. J’ai apporté beaucoup de respect et de beauté à un instrument que l’on n’a pas l’habitude d’entendre chanter : le cor, qui est, selon ma vision, une œuvre d’art auditive à savourer avec tendresse.
J’ai publié plus de 11 000 articles, et ce n’est pas fini. Cette reconnaissance royale m’a fait réaliser combien j’ai été chanceux de pouvoir faire ce que j’aime et d’écrire comme je le fais. La recette a été bonne et, finalement, l’homme que j’étais – et que je suis toujours – n’est pas si mal. C’est le jour où j’ai quitté la maison, en 1980, que j’ai prouvé cela… à moi-même !