La croyance du «cancer gay» est toujours d’actualité, quand elle ne le cède pas à celle du complot venu de l’Ouest ou du simple mythe.
En juillet dernier, le chef de la République de Tchétchénie Ramzan Kadyrov lâchait, entre deux éclats de rire, qu’il n’y avait pas de gays dans son pays. En Russie, c’est le VIH qui n’existerait pas. Quand Vladislav Ivanov, un jeune moscovite, a appris qu’il en était porteur, il est resté stoïque: «Je ne me suis pas inquiété de cela puisque j’avais vu à la télévision une émission qui niait l’existence du VIH», raconte-t-il au Guardian.
Pourtant, selon un rapport publié conjointement par l’OMS et UNAids, plus de 103.000 nouveaux cas de VIH auraient été enregistrés dans le pays en 2016, marquant une hausse de 5% par rapport à l’année précédente, quand près de 1,5 million de personnes sont estimées être affectées au total, soit à peine moins de 1% de la population –à titre de comparaison, environ 153.000 personnes sont touchées en France.
Une homophobie institutionnalisée
Dans un pays où l’homophobie est institutionnalisée, les moyens de prévention, de la simple information jusqu’aux soins, sont très vite limités, ne serait-ce que par le stigmate qui s’y rattache. L’activiste Evgeny Pisemskiy, qui dirige Mecs+, l’une des seules initiatives russes de lutte contre le sida s’adressant aux hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), décrivait ainsi la situation:
«Pour stopper l’épidémie en Russie, les docteurs disent que nous avons besoin de médicaments, de traitements et de préservatifs, mais moi je dis que ce ne sont pas les choses principales. Nous ne pouvons stopper l’épidémie qu’en éradiquant le stigmate qui entoure les gays.»
La prévention ne passe pas
D’après les chiffres officiels, alors que les consommateurs de drogue représenteraient 49% des porteurs du VIH en Russie, les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes ne compteraient que pour 1,5%. Quand on considère que 39,6% des personnes séropositives suivies en France sont des HSH, on peut supposer que ce dernier pourcentage est largement sous-représentatif. En réalité, il est biaisé du fait du «Code 103», utilisé par les cliniques:
«Quand un homme se rend dans une clinique pour se faire tester et reçoit un diagnostique positif au VIH, la première personne qu’il voit est un épidémiologiste qui lui demande comment il a contracté le virus. S’il admet l’avoir contracté en ayant eu des rapports sexuels avec un homme, son cas est enregistré sous ce qui est connu comme le Code 103 –une information accessible à la police et au ministère des affaires intérieures», explique Alexander Shumilov, membre du groupe de soutien pour séropositifs La Sky.
La plupart des personnes testées ont donc plutôt intérêt à mentir sur leur sexualité, compte tenu des violences qui touchent les LGBT+. Mais conséquemment, le chiffre étant dérisoire, cela permet au gouvernement de ne pas s’engager sur le terrain d’une prévention ciblée, et reconduit le problème. «Pendant ce temps, les hommes gays porteurs du VIH demeurent sans diagnostique et sans traitement», ajoute Matt Cain.
Jusque dans les
L’interdiction législative de la «propagande homosexuelle» ratifiée par Vladimir Poutine en 2013 opère comme une loi du silence aux effets dramatiques, tant pour les personnes LGBT+ que pour les séropositifs: les gays ne bénéficiant d’aucune visibilité, représentation ni protection dans la société, et les séropositifs leur étant systématiquement associés, l’épidémie de VIH que connaît la Russie demeure sous tabou. Vue la situation actuelle, c’est d’abord la lutte contre l’homophobie qui permettra la lutte contre le VIH.milieux gays, la prévention demeure laborieuse: quand le sida n’est pas toujours perçu comme un complot venant de l’Ouest, les personnes demeurent réticentes à se rendre dans des cliniques pour se faire dépister ou soigner. Les plus déterminées doivent trouver des alternatives souvent clandestines ou secrètes, qui ne sont pas sans risques, dans un pays où l’on peut trouver des panneaux «PD interdits» sur les devantures des boulangeries.
Mais en Russie, le préservatif est toujours envisagé en seuls termes de contraception, et le VIH comme marqueur d’homosexualité. Si celle-ci n’est pas illégale, elle demeure fortement réprimée par toute une série de lois et de pratiques qui entretiennent une discrimination structurelle et une légitimation de la violence à l’égard des LGBT+ –le film Stand de Jonathan Taïeb en offre un bel aperçu.